En présence ou à distance : comment apprend-on le plus efficacement ?

moment-dureeSi vous avez déjà vu des étudiants travailler, vous avez sans doute remarqué que la majorité d’entre eux travaillent peu ou pas entre les cours. Ils accumulent les « pastilles » de cours et révisent tout d’un coup avant les examens. Ils combinent donc des « moments » disjoints d’exposition aux informations avec une « durée » d’apprentissage intense en continu, juste avant l’épreuve finale.

Moment et durée : l’apprentissage a sans doute besoin de ces deux modalités d’appréhension du temps. Mais plus que tout, l’apprentissage a besoin de durée, de continuité. A la limite, il peut se passer de « moments ».

J’ai l’opportunité d’animer une formation en méthodologie de projet selon trois modalités : tout en présence, en dispositif mixte (une partie en présence, une partie à distance) et tout à distance. Je précise que la formation à distance en question est tutorée et fait largement appel aux travaux de groupes. Rien à voir avec l’autoformation où on vous balance un paquet de fichiers sur le coin de l’ordi, et débrouillez-vous avec.

Clairement, les apprenants tout à distance sont ceux qui en savent le plus et sont les plus habiles à la fin de la formation alors que, dans ces trois dispositifs, le contenu est le même.

Ce qui fait la différence, ce n’est pas fondamentalement la présence du prof, son supposé charisme, auxquelles se substituent à distance ses habiletés à animer et rythmer un cours. ce n’est pas non plus la qualité des supports de cours : très bons dans le dispositif en présence, ils le sont tout autant (mais différents, bien sûr) à distance. Non, ce qui fait la différence, ce sont les modalités temporelles de déploiement de l’apprentissage : à la succession de « moments » (les journées de cours), se substitue une « durée » continue, dont l’intensité et la longueur est réglée par l’apprenant.

Pour cela, nous lui donnons un cadre large : 8 semaines de formation tout à distance à la place de 5 jours en présence ! Bien entendu, les 8 semaines ne sont pas considérées comme de la formation à plein temps, alors que les 5 jours le sont. Mais justement : sur 8 semaines tout apprenant, même s’il travaille à plein temps, a la capacité d’aménager son temps d’apprentissage.

Comme il faut un large zone uniforme autour de la photo pour la mettre en valeur, il faut un large cadre temporel pour mettre en valeur l’effort d’un apprenant à distance, et le rendre productif.

Rien n’est plus contraignant et contre-productif pour l’apprentissage que le cadre rigide de la journée de cours. Certains jours, on voudrait qu’elle dure 15 heures et d’autres, pas plus de 20 mn. On voudrait pouvoir organiser 3 plages de travail de 90 mn, séparées par des plages de repos, de sortie (ah ! sortir de la maudite salle !), ou de débat sur un tout autre sujet. On voudrait prendre tout le temps nécessaire pour réaliser les activités, et non pas les sacrifier parce qu’il est déjà 16h45 et qu’on a un dernier point à voir alors que personne n’écoute plus depuis longtemps; on voudrait donner la possibilité aux apprenants de refaire ce qui n’a pas été parfaitement compris, et de le commenter une deuxième fois. Mais non, le temps passe !

Tout cela est possible à distance. Encore mieux : il revient à chaque apprenant, et pas au formateur, d’aménager son temps.

Ce que l’on constate, c’est que l’appropriation du temps, la manière dont il est « travaillé » par l’apprenant (bien plus que la quantité objective de temps disponible), est un excellent indicateur d’engagement et un bon indice de la réussite à venir. S’approprier son temps de formation, c’est aussi s’approprier les contenus, les modalités d’apprentissage, car c’est affirmer son autonomie par rapport à des représentations classiques du temps de travail ou d’étude (représentations dont beaucoup, malheureusement, ne parviennent pas à se libérer).

Et les résultats sont là : pour les formations à contenu constant mais que l’on peut suivre soit en présence, soit à distance, mes collègues formateurs à distance et moi-même avons constaté que les apprentissages étaient de bien plus grande qualité à distance qu’en présence. A distance et maître de son temps, l’apprenant ménage des étapes et des paliers dans ses apprentissages. Par exemple, il lit entièrement son cours et ensuite seulement, pose des questions au formateur et à ses pairs. La pertinence de la question est évidemment plus grande que celle des questions posées en cours en présence, qui accompagnent la découverte des sujets par les apprenants.

De manière fréquente, les apprenants font plusieurs fois les travaux qui leur sont demandés : ils les rendent, nous les corrigeons et si tout n’est pas aussi bon que ce qu’ils visaient, ils recommencent et redemandent une correction.

Il leur arrive également de revenir sur des séquences théoriquement terminées, avec des questions qui sont apparues à la lumière des séquences suivantes.

Le large cadre temporel, la maîtrise de son aménagement et de sa durée autorisent ce surcroît d’activité… et font grandir le plaisir d’apprendre, de se sentir fonctionner efficacement.

Bien entendu, il y a aussi à distance des apprenants qui travaillent à l’économie, qui veulent en avoir fini au plus vite. Libre à eux ! Mais au moins ceux qui veulent profiter au mieux du dispositif qui leur est proposé peuvent-ils le faire…

Voir des apprenants qui s’approprient complètement leur cadre de travail, s’épanouissent et réussissent est profondément satisfaisant pour un formateur. Certes, ses tâches diffèrent de celles qu’il mène en présence : le contenu est distribué sans lui (ou presque). Ce qui lui laisse tout le temps de se consacrer aux interactions, à la stimulation des groupes, aux recherches complémentaires exigées par les questions pointues des participants. Et je vous assure que nous ne perdons pas au change.

Complément :

Le eLearn Research center de l’Université ouverte de Catalogne publie un numéro de sa revue consacré à la question du temps en formation à distance :

http://elcrps.uoc.edu/ojs/index.php/elcrps/

Photo :

Creative Commons Attribution 2.0 Generic License by Jemimus

A propos Christine Vaufrey

Directrice de MOOC et Cie : http://mooc-et-cie.com/. Je veille, surveille et expérimente toutes les formes d'apprentissage en ligne.
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4 commentaires pour En présence ou à distance : comment apprend-on le plus efficacement ?

  1. Ping : En présence ou à distance : comme...

  2. Christian dit :

    Attention aux conclusions hâtives car il y a un paramètre non traité ici : le profil des apprenants. Par exemple à distance les apprenants peuvent être des personnes plus âgées, plus mûres, avec des besoins pour évoluer professionnellement, qui ont une motivation différente des jeunes en formation initiale. On peut dire qu’avec les personnes présentes dans les 3 situations, les résultats sont meilleurs à distance. Mais on ne peut pas en conclure de façon générale qu’on apprend mieux à distance. Que ce serait-il passé si les étudiants à distance étaient en présentiel et les présentiels à distance ? Les résultats auraient-ils été les mêmes ou inversées ?

    • Christine Vaufrey dit :

      Vous avez raison de souligner ce point. La formation à distance ne convient pas à tout le monde, comme la formation en présence 35 heures / semaine, d’ailleurs. Dans le cas évoqué, les profils des apprenants qui participent aux formations en présence et à distance sont identiques. Ce fut d’ailleurs une vraie surprise pour nous, les formateurs. Nous nous attendions à davantage d’écarts. Parmi eux, certains avaient même déjà fait la formation à la méthodologie de projet en présence en 5 jours… et avaient repris une session tout à distance quelques années après, pour entretenir leurs compétences. Plus globalement, la stratégie de formation était la même, et la possibilité de suivre la formation à distance a permis à ceux qui l’ont suivi de l’appliquer, en dépit de leurs contraintes (éloignement, disponibilité, etc.).

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